La Logique à dominance de services comme nouvelle approche du marketing touristique

Comme plusieurs secteurs, les technologies de l’information révolutionnent l’industrie touristique. En fait, face à la montée des réseaux et médias sociaux plusieurs gestionnaires du tourisme éprouvent de plus en plus de difficultés à gagner l’attention des consommateurs avec les méthodes traditionnelles de communication de diffusion vers le consommateur. Dans un récent article, La tempête parfaite du marketing touristique,  j’expliquais que plusieurs facteurs provoquaient une tempête parfaite qui frappait sur le marketing touristique.

La raison?  Tout simplement parce que le marché ne fonctionne plus du tout de la même façon qu’on nous l’a enseigné dans les écoles de gestion depuis des décennies. Par exemple, dans l’approche traditionnelle du marketing, le rôle des individus est de consommer les valeurs (produits et services) offertes par les entreprises. Le rôle des entreprises est de chercher à comprendre les besoins du consommateur et offrir de façon efficace les produits et services en demande par les consommateurs. Le rôle des entreprises et celui du consommateur dans le marché sont clairs et distincts: les entreprises produisent ou offrent des valeurs (produits et services) et les individus consomment ses produits et services. Depuis l’émergence des réseaux et médias sociaux au milieu des années 2000, le marché ne fonctionne plus de moins en moins dans cette logique héritée de l’ère industrielle.

Pas convaincu? Vous croyez que les individus sont de simples consommateurs ? Que pensez-vous d’AirBnb qui transforme les consommateurs en fournisseurs de services (hébergement) qui viennent compétitionner les hôtels? Imaginez : des consommateurs qui peuvent compétitionner les entreprises! On pourrait nommer de nombreux exemples qui démontrent que l’approche du marketing que nous connaissons et qui limite le rôle des individus à celui de consommateur ne fonctionne plus à l’ère des réseaux. Bref, la plupart des auteurs y compris, Phillipe Kotler, auteur de nombreux ouvrages sur le marketing affirment que le marketing doit se réinventer autour des principes de la participation et de la collaboration, appeler la cocréation.

C’est dans cette remise en question sur le marketing traditionnel que deux chercheurs américains, Vargo et Lusch,  proposent au milieu des années 2000 une nouvelle approche du marketing appelée la Logique à dominance de service (LDS) qui fait de plus en plus d’adeptes et peut nous aider à mieux comprendre les nouveaux mécanismes du marché.

Malgré le fait que cette approche est conceptuelle, il est nécessaire d’en présenter les grandes lignes afin de nous aider à comprendre les nouvelles logiques qui animent le marché. Comme le disait, le père de l’innovation de rupture, Clayton Christensen, dans une période de turbulence où l’on ne voit plus clair, il faut revenir aux concepts et aux théories qui nous permettent de mieux comprendre comment on peut sortir de la tempête.

Voilà donc les principaux éléments de cette logique à dominance de services.

Le marché fonctionne dans une logique de service et non pas de produit

Pour les auteurs de cette nouvelle approche, le marketing que nous avons appris fait fausse route puisqu’il est hérité de l’ère industrielle et fondée sur une logique «produit». Pour les produits, il était possible d’affirmer que les entreprises ont le rôle de produire et que les individus ont le rôle de consommer. Par contre, dans une société de service comme la nôtre, la logique est tout autre puisque le consommateur est toujours partie prenante du service et participe à la prestation du service. Il est donc nécessaire de considérer le consommateur comme cocréateur du service.

L’approche est centrée sur le consommateur 

Beaucoup d’auteurs considèrent que l’approche traditionnelle du marché est trop centrée sur les entreprises, puisque se sont elles qui sont les maîtres d’œuvre du marché: elles analysent les consommateurs, cibles les consommateurs et créent des produits et services pour eux. Le consommateur est plutôt passif et son rôle se limite à choisir les biens et services qu’il consomme.

La LDS rompt avec cette approche en soulignant que dans la prestation d’un service,  le consommateur peut se retirer en tout temps du processus et qu’il devient donc nécessaire de chercher à comprendre le processus de création de la valeur des consommateurs.  Pour bien comprendre la complexité de ce processus de création de valeur, il est nécessaire de connaître le consommateur plus en profondeur en apprenant à mieux collaborer et à interagir avec lui dans une relation à long terme.  En fait, la LDS exige que les entreprises cessent de travailler pour le consommateur, mais plutôt qu’ils apprennent  plutôt à travailler avec celui-ci. Les entreprises hautement technologiques et créatives utilisent déjà des méthodes collaboratives et participatives avec les consommateurs. À quand de telles méthodes en tourisme ?

Chaque consommateur est unique 

Armés d’outils technologiques qui leur permettent de personnaliser leurs voyages en fonction de leurs besoins et de leurs contextes, comme les téléphones intelligents, les consommateurs d’aujourd’hui acceptent de moins en moins d’être traités comme des numéros et veulent qu’on les traite comme des individus à part entière. La LDS intègre cette nouvelle exigence du consommateur en considérant chacun des consommateurs comme unique. Pour parvenir à cette fin,  il devient nécessaire d’aller plus loin dans les pratiques de marketing et d’intégrer les consommateurs dans certains processus internes de l’entreprise comme dans le design des produits et services par exemple. Après tout, les consommateurs ne sont-ils pas les plus compétents pour  élaborer des services qui leur sont destinés?

Les entreprises doivent intégrer les ressources opérantes pour être compétitives 

Dans l’approche traditionnelle du marketing que nous connaissons tous, la notion de ressources est fixe et surtout interne à l’entreprise. Une entreprise crée de la valeur en combinant différentes ressources, comme les ressources humaines, des équipements ou autres types d’actifs, des ressources financières… La logique à dominante propose plutôt une approche des ressources basée sur l’économie du savoir et des réseaux, appelée ressources opérantes. Ces ressources sont constituées de compétences, de connaissances, d’expertises, de technologies qui très souvent sont externes à l’entreprise. La compétitivité des entreprises ne dépend plus nécessairement de ces ressources internes, mais repose sur l’intégration de ces ressources externes opérantes. Tous les individus, organisations et technologies sont considérés comme des ressources qui peuvent être intégrées. Un résident passionné par le vin peut par exemple très bien être intégré dans l’offre touristique dans une route des vins par exemple. Certaines destinations ont commencé à intégrer des technologies comme Facebook ou TripAdvisor pour faciliter l’organisation et l’interaction des voyageurs.

Mais où est le marketing dans tout ça, vous allez me dire?  En fait, la Logiqueà dominance de services nous donne une toute nouvelle perspective de l’entreprise et du marketing. En tourisme, par exemple, l’influence des consommateurs dans la promotion est devenue incontournable. Alors, pourquoi ne pas en profiter et considérer les consommateurs et chercher à les intégrer dans la production de contenu et dans la promotion ?  Cette forme de cocréation, appelée la copromotion, est certainement la forme de cocréation la plus utilisée en tourisme actuellement. Par exemple, la campagne #MTLMOMENT par Tourisme Montréal vise à capitaliser sur le contenu partager par les visiteurs. La ville de Lyon de son côté, délègue la production de contenu de promotion à des reporters locaux. Le Canada organise un concours de vidéos auprès des Canadiens pour recueillir du matériel promotionnel… Il existe aujourd’hui de nombreux exemples de gestionnaires du tourisme qui tente de capitaliser sur ces les compétences et l’influence des consommateurs pour promouvoir leurs services ou leur destination dans cette nouvelle logique de la LDS.

Tous ces exemples démontrent qu’il est de plus en plus pertinent d’intégrer cette nouvelle approche du marketing en considérant le consommateur non seulement comme une cible ou segment, mais comme une ressource compétente qui peut être intégrée à nos actions marketing. Il faut aller au-delà de l’approche traditionnelle qui oublie que consommateur d’aujourd’hui s’est transformé en véritable acteur du marché.

Pour en savoir plus vous pouvez prendre quelques minutes et visionner ce vidéo d’un des fondateurs de cette approche Stephen Vargo.

La LDS présentée par Stephen Vargo